Qu’est-ce qui tient des milliers de féministes loin de leur féminisme ?
Pourquoi la majorité des gens que je connais ne se déclarent pas comme féministes alors qu’iels le sont ? Pourquoi plus de femmes ne viennent-elles pas renforcer les bancs de la (r)évolution alors qu’elles aspirent aux mêmes droits et aux mêmes privilèges que les hommes ?
Il est important de préciser que je suis blanche, cisgenre (en accord avec le genre qui m’a été attribué à la naissance), privilégiée et que mon entourage me ressemble un peu.
Dans ce contexte là, il me semble y avoir plusieurs raisons. Néanmoins chaque individu étant unique, nous avons toustes nos raisons d’être qui nous sommes et d’agir tel que nous le faisons.
- Il y a celleux qui n’ont pas conscience des inégalités car elles sont moins prégnantes dans leur vie mais qui — dès qu’on leur prouve qu’elles sont bien réelles, qu’elles persistent, et surtout qu’on peut progressivement les changer ensemble — sont bousculées par la réalité.
Par forcément de là à foutre le feu au foyer mais, sans être anarchiste, essaient à leur tour d’évoluer, de faire changer leur entourage, de vivre leur couple plus justement, d’élever leurs enfants différemment, de consommer consciemment. - Il y a celleux qui savent, qui constatent voire souffrent réellement mais ne savent pas comment faire. « On ne naît pas Femme on le devient ».
On ne naît pas militant.e non plus, et quand personne dans votre entourage ne vous guide, vous pouvez avoir le sentiment d’en être incapable, de ne pas vous reconnaître, de ne pas savoir faire. Vous pouvez avoir peur de ne pas être à la hauteur, de ne pas être assez fort.e.
Le plus souvent, à moins d’y être poussé.e par la rage, la colère, à moins que l’injustice ne nous ébouillante alors — souvent — nous laissons ce sentiment de côté. Quand l’inconfort et le confort se confrontent, parfois notre égalité se laisse endormir poliment.
Malheureusement il y a celleux qui ont fait l’expérience de trop, celle qui nous réveille en sursaut.
Un homme toxique,
un employeur nocif, un CRS violent, un père haineux,
un viol, une agression,
de l’homophobie, du racisme,
un énième harcèlement de rue,
une injustice, une blague qui n’en est pas une…
Ou celleux qui ont vu souffrir leurs proches.
Faut-il à tout prix un drame pour prendre conscience de l’état de notre État, de la médiocrité de notre société ? Est-il nécessaire de se sentir concerné.e.s en 1er lieu pour légitimement réagir ?
Depuis que mon féminisme prend de la place dans ma vie, on m’a parfois demandé « si ça allait avec Vincent ? », si « quelque chose (m)’était arrivé ? ».
D’abord je remercie toustes celleux qui ont pris la peine de s’inquiéter, toutes les femmes n’ont pas ma chance.
Je vais fort bien, mais notre société va mal et -comme mes ami.e.s qui privilégient le Tofu- je me dois de réagir, à ma façon.
J’ai décidé à l’avenir de m’investir dans l’égalité FxH en entreprise, d’éveiller au maximum les consciences pour que l’environnement professionnel avance.
Parce que je suis persuadée que chacun.e à notre niveau, nous avons une part de responsabilité, un impact aussi.
Il n’est pas nécessaire de partir coller dans les rues, de risquer de se faire “nasser” par des Robocops qui ne distinguent même plus sur quoi/qui ils tapent, de s’enchaîner au palais de justice de notre ville…pour faire avancer l’égalité, pour être féministe tout simplement.
Même si c’est absolument nécessaire, même si nous saluons, remercions, admirons celleux qui le font, il y a tant d’autres façons d’agir. ✊✊🏼✊🏾
Depuis l’éducation civique au collège, on a intégré une démocratie binaire avec d’un côté
- nos droits (que nous connaissons mal)
- et de l’autre nos devoirs (que nous connaissons mieux).
Du coup on se dit qu’à part voter ou militer on ne peut rien faire tout.e seul.e.
Mais quand on voit ce que les politicien.n.e.s font de nos votes et de nos droits, on a vite fait de se sentir impuissant.e, et — comme nous ne sommes pas toustes des militant.e.s en puissance — on met ça de côté.
Parce que dans notre désillusion, on a le luxe de pouvoir le faire.
J’ai peur que le monde pense qu’être féministe c’est une Mission (ou un état critique de lesbianisme velu violent mais pour celleux-là on ne peut rien).
Je crains qu’on pense injustement qu’être féministe ça implique de lourdes responsabilités.
Que c’est contraignant.
Que ça change radicalement notre vie.
Qu’on se doit d’être irréprochable sinon on ne l’est pas vraiment.
Que d’ailleurs on doit arrêter d’aimer les hommes, qu’on est obligé.e d’être en colère contre eux, de tous les détester au point de vouloir qu’ils disparaissent.
Moi je ne veux pas qu’ils disparaissent (j’ai trop besoin du 🎅🏼), je veux qu’ils changent. Mais nous devons changer aussi, et nous le pouvons.
On peut commencer par des petites choses simples, chacun.e à notre niveau
- bannir de nos insultes des mots comme « conna*** », « put*** » …
(💩 marche pour tout, c’est génial / jamais devant des enfants bien sûr)
- choisir des histoires/dessins animés/films/jeux dans lesquel.le.s il y a autant de femmes que d’hommes, que leurs rôles soient valorisants pour varier les modèles (des princesses il y en a même des badass)
- boycotter les marques qui — pour vendre un sac à main, du dentifrice, une facture d’énergie réduite — montrent de grandes perches blanches souvent nues et décapitées qui souffrent de la faim.
- cesser d’accueillir les petites filles par des « mais que tu es belle » et les petits garçons par des « montre-moi comme tu es fort » limitants
- arrêter de parler des droits de l’Homme, parce que la moitié des Humains n’en sont pas
- ne plus jamais dire à une femme « attends je vais t’aider » alors que cette tâche ne lui revient pas et que ça n’est ni gentil, ni attentionné de passer l’aspirateur : c’est normal
- cesser de supposer que c’est lui qui choisit le vin alors que c’est TOUJOURS moi
- ne pas s’émerveiller devant un papa qui garde ses enfants un samedi soir, parce que ⚠️ ce sont ses enfants aussi ça n’est donc pas du bénévolat
- refuser que les cuisses/nombrils/tétons/décolletés/chevilles/nez/oreilles des adolescentes soient forcément des petits aimants pour les yeux de ces messieurs quand on n’imaginerait pas une seconde que de petits pré-pubères avec le jean sous les fesses excitent leurs professeur.e.s
- privilégier des artistes qui ne dégradent pas les femmes (Spotify propose une option « ne plus jouer cet artiste » fabuleuse !)
- laisser les vieux auteurs misogynes prendre la poussière pour découvrir de nouvelles plumes vibrantes
- choisir des séries, des films, des documentaires, des humoristes qui reflètent d’autres corps, d’autres vies, d’autres envies.
Les nôtres, les vôtres aussi.
Bref des idées comme ça, toutes simples, on peut toutes les prendre, n’en choisir qu’une, en trouver d’autres… L’important c’est de les partager.
D’en parler en étant persuadé.e que ça fait avancer l’égalité.
C’est à cause de croyances infondées, d’un vocabulaire discriminant,
d’un manque de représentativité, d’une écriture non inclusive etc. véhiculé.e.s par tout ce qui nous entoure, depuis notre éducation jusqu’à chacune de nos interactions, que nous avons intégré si profondément ces inégalités dans notre quotidien que nous ne sommes plus toujours capables de voir où est le mal, et ce qui nous empêche d’avancer.
Il y a, comme ça, des milliers de briques qui font barrière à l’égalité.
Chaque coup donné dans ce mur va progressivement l’affaiblir, le fissurer, le faire s’ébouler.
On va commencer à voir à travers, à communiquer avec l’autre côté, à faire circuler des rumeurs qui deviendront des idées, des connaissances, des langages différents jusqu’à le faire tomber.
Nous ne sommes pas toustes des bulldozers, mais nous avons toustes les moyens de participer.
(J’ai l’image des souris & oiseaux qui aident toustes Cendrillon à faire sa robe d’apparat… mauvaise réf. je vous l’accorde…mais pensée émue pour GusGus qui a largement souffert de grossophobie)).
Si les féministes « réservé.e.s » que je connais avaient plus d’exemples sur la multiplicité des moyens d’agir, un peu plus confiance en l’utilité de leurs actes individuels et conscience de leurs responsabilités, j’ose croire qu’iels se manifesteraient plus naturellement.
Sans craindre de sacrifier leur confort ou leur intégrité, juste la société poussiéreuse dans laquelle nous sommes en train d’asphyxier.
Ne laissons pas celleux qui n’ont que cette option, se battre seul.e.s et décrocher notre égalité à toustes. Commençons par partager d’autres idées pour lutter, des cadeaux engagés, des conversations de dîners en famille enflammées, chacun.e.s ses briques à faire tomber…
Parce que sous les pavés…