Je mentirai si je disais qu’en créant Nouvelles Interactions, je n’ai pas pensé que je ferai bouger les choses. J’ai changé de métier parce que j’étais persuadée que j’apporterai ma pierre à l’édifice d’une façon ou d’une autre.
Chargée d’un enthousiasme bouillonnant, d’une flamme qui m’avait réchauffée toute entière, je m’étais convaincue que — comme le colibri** — je ferai ma part.
“Réussir” changeait de définition.
Plus question d’échelle sociale, de hiérarchie, de poste, de reconnaissance personnelle. “Réussir” c’était parvenir à faire ouvrir les yeux à un maximum de personnes sur l’influence que le sexisme inconscient a sur nos vies. Sur notre éducation, nos choix d’orientation, notre comportement, notre estime, notre confiance en nous, notre ambition, nos relations, nos interactions, notre carrière, notre équilibre pro/perso, notre épanouissement, notre réussite, nos performances, notre tolérance, notre bien-être…notre colère.
Ouvrir les yeux pour être moins en colère donc, et vivre mieux toustes ensemble. Réussir mieux toustes ensemble.
Il fallait que je fasse quelque chose d’utile, que j’agisse plutôt que de simplement me plaindre. Dénoncer ne me suffisait plus, je voulais proposer des solutions pour améliorer le quotidien des collaborateur·rice·s, pour accélérer la transition sociale du monde professionnel.
Comment regonfler l’estime et la confiance, comment booster la motivation, comment faire en sorte que le sexisme inconscient cesse d’entraver nos carrières ? Comment faire du monde professionnel un environnement VRAIMENT stimulant ?
Après avoir mené des séries d’entretiens dans toute la France, passé un diplôme, étudié, lu, m’être documentée, avoir assisté à des centaines de conférences (merci la visio !)… je me suis appliquée à penser des contenus accessibles, inclusifs, impliquants, originaux, complets. J’ai cherché à vulgariser les théories féministes, les concepts sociologiques, les études scientifiques et comportementales, les sciences sociales qui m’ont fait du bien. Tout ce qui m’a personnellement nourrie, qui m’a bouleversée, changée…pour les transmettre de la façon la plus utile et efficace au monde du travail.
Celleux qui ont suivi mes formations me l’ont assuré : ça fait la différence, ça éclaire, ça bouscule, ça fait réfléchir, ça fonctionne !
Malheureusement iels ne sont pas aussi nombreux·ses que je l’aurais imaginé.
Éblouie par la lueur intense de la naïveté, j’ai cru que les entreprises s’empareraient volontiers de ces solutions décomplexantes, ludiques et responsabilisantes. Des solutions qui, pourtant, amélioreraient l’implication et la fidélité de leurs salarié·e·s, leurs performances, leur attractivité…
Naïve, je pourrais continuer de questionner les raisons de ce désintérêt.
Au fil des rencontres et face aux réponses de certain·e·s, la conclusion me glace.
Dans les “hautes sphères”,
on salue l’initiative mais on n’a pas envie de bouger, on pense -souvent à tort -qu’on n’en a “pas besoin”, parce que “chez nous ça va.”.
On pense parfois que “c’est trop compliqué comme sujet”.
Pire, on sait qu’on en a besoin mais on a peur de l’impact que cela pourrait avoir…
Quand on est bien au chaud sous la couette des privilèges, pourquoi risquer de sortir du lit et prendre froid ?
Les gouvernances, les directions craignent les effets délétères d’une prise de conscience collective et l’impact sur les revendications individuelles qui s’en suivraient.
Les décisionnaires couvent… une bombe. Sans s’en apercevoir.
Les discriminations en tous genres — sexisme, racisme, validisme, âgisme, classisme — n’ont jamais eu leur place en entreprise, mais plus qu’avant, les talents de demain refusent cet ordre établi.
C’est là que résonnent les paroles du — pas très feministe et je le regrette — @Orelsan. (j’aurai préféré citer Mansfield.TYA…)
“ Si c’était si facile, tout le monde le ferait
Qui tu serais pour réussir où toustes les autres ont échoué ?
Oublie tes rêves prétentieux, redescends sur terre
Ou tu n’en reviendras jamais ”
Des phrases que j’ai chantées il y a longtemps et qui me sont revenues en mémoire récemment. Ces paroles ont un “double effet KissCool” sur moi :
- Les mauvais jours, elles me remettent à ma place. Toutes ces figures féministes fabuleuses, ces autrices, ces avocates, ces chercheuses, ces militantes, ces martyres, ces combattantes, ces femmes puissantes ont bien sûr changé le cours de l’Histoire, elles se sont battues des vies durant pour l’égalité, pour la justice. Mais nous n’y sommes toujours pas.
Comment ai-je pu être suffisamment naïve pour croire que moi j’y arriverai, même un tout petit peu ? - Les bons jours, elles ne m’évoquent plus mon incapacité à faire changer les choses mais les difficultés que cela représente d’ouvrir les yeux, de changer de comportement, de se remettre en question, d’accepter de céder une part de ses privilèges, de repenser sa façon de penser.
“Si c’était si facile, tout le monde le ferait.”
Je me rappelle alors qu’il n’a jamais été question de ma réussite personnelle, mais d’ambition sociétale. Je me rappelle que ces rêves d’égalité ne sont pas prétentieux, que chacune de ces femmes incroyables a travaillé avec d’autres femmes fabuleuses, sur la base de travaux antérieurs d’autres femmes flamboyantes dans un but commun. Et je me rappelle qu’il est même arrivé que des hommes éclairés choisissent de partager certains de leurs privilèges, persuadés que l’on peut vivre mieux grâce à l’égalité !
Je pense alors aux échanges que j’ai avec les étudiant·e·s lors de mes interventions et je peux dire que cette — presque — 1ere année m’aura permis de transformer ma naïveté en conviction. Je ne sais pas si je vais réussir à changer grand chose chose mais je me dois d’essayer, pour les générations à venir. La maturité, la lucidité et la volonté que les jeunes ont aujourd’hui me poussent à regarder en avant parce que c’est tout ce qu’on a à leur offrir. On leur doit mieux.
Il va falloir plus de temps, plus de gens, plus d’énergie, plus de collectif mais il arrive, ce collectif. Il déboule ! En manifestations, mais pas que : sur le marché du travail aussi. Persuadé que c’est ensemble qu’on corrige tout ça, qu’on met tout à plat pour mieux faire.
Alors pour Noël, je ne ferai pas de liste, parce que je n’attends rien d’un vieux barbu capitaliste, parce que je ne veux plus être sage et que je n’attendrai plus d’être récompensée. Je souhaite seulement de tout mon cœur que chacun·e prenne ses responsabilités, employeurs en première ligne parce que · · · SURPRISE · · · vos salarié·e·s sont prêt·e·s !
Je salue chaque entreprise qui a le courage de questionner l’environnement de travail de ses collaborateur·rice·s en acceptant de quitter la lorgnette de la direction et d’ouvrir la porte pour accompagner celleux qui font tourner la boîte.
Je garantis à toustes celleux qui sauteront le pas et embrasseront cette évolution que cela peut se faire dans la joie et la bonne humeur, que ça n’est pas une punition, qu’on construit plus que l’on n’esquinte.
J’encourage toustes celleux qui ont envie de faire leur part.
✖︎ Étudiant·e·s, incitez votre équipe pédagogique à organiser des interventions !
✖︎ Salarié·e·s, exigez de votre entreprise qu’elle s’empare réellement du sujet !
✖︎ Directeur·rice·s Généraux·les, PDG, offrez à votre entreprise le soin qu’elle mérite !
Au plaisir de faire cela ensemble,
Aurore
☞ contact@nouvellesinteractions.fr
* Orelsan — Casseurs Flowteurs : Si Facile
** ”La part du colibri : L’espèce humaine face à son devenir” de Pierre Rabhi