Ce n’est pas parce qu’on connaît la chanson qu’on connaît les paroles…
Comme tout le monde, il m’arrive d’être terrorisée par l’échec, tétanisée par la peur, de plier sous le sentiment de l’imposteur·rice, de me remettre en question au point de ne plus trouver de réponses rationnelles aux obstacles que je rencontre.
Pourtant, je connais la chanson.
Depuis quelques années, j’ai entrepris un long et passionnant travail de [dé]composition du grand concert des inégalités que nous avons déjà toustes vu, entendu, fredonné sans même en connaître les paroles.
Comprendre de quoi est faite la grande rengaine des inégalités c’est comme prendre soudainement conscience de la médiocrité, de la vulgarité, de la stupidité, de la violence de paroles de chansons sur lesquelles nous avons dansé, pleuré, aimé, accéléré, hurlé pendant 20 ans.
Impossible de continuer à fredonner “Vas-y Francky c’est bon” au supermarché (dernier lieu de fun pendant cette période de restriction) en toute décontraction…
Difficile de verser sa larme sur “Every move you make, I’ll be watching you, oh baby can’t you see, you belong to me”, une fois compris que ce n’est pas une déclaration d’amour mais un aveu musical d’un harceleur psychopathe…
L’idée avec Nouvelles Interactions, c’est de découvrir les paroles qui font que nous fredonnons cet air sexiste sans nous en rendre compte.
Adieu Patrick Juvet 💋
Plus qu’un solo, c’est tout un orchestre qui joue cette inquiétante partition.
C’est l’accumulation des préjugés à vent, des pensées limitantes en cuivre, des stéréotypes sexistes à bois, des idées reçues misogynes à percussion — placé·e·s là, dans notre éducation, depuis des générations — qui creuse les inégalités sans que nous en ayant conscience. Nous avons donc intérêt à nous pencher sur la fosse, à scruter cette fanfare composée :
- de principes religieux dont les messagers ont transformé les mots d’hommes en évangiles, légitimant hypocritement des massacres théologiques, s’accordant assez unanimement sur la soumission du 2eme sexe “parce que Dieu le veut”
- de découvertes paléontologiques, scientifiques…interprétées à travers des biais cognitifs de confirmation qui font que l’on trouve toujours ce que l’on cherche, que l’on nie encore des études scientifiques solides sur la plasticité cérébrale — la capacité de notre cerveau à acquérir de nouvelles compétences par l’expérience, de fabriquer des synapses tout au long de notre vie — ou d’autres études encore sur la testostérone que nous fabriquons quand nous sommes dans une situation de domination et non l’inverse…
- des avancées technologiques, médicales dont le mérite a rapidement fait d’éclabousser les témoins plutôt que leur auteur, on se rappellera difficilement qu’Ada LOVELACE a été la pionnière de la programmation informatique, ou que sans Katherine JOHNSON qui a calculé les trajectoires du programme Mercury & de la mission Apollo 11 vers la Lune en 1969, sans Dorothy VAUGHAN, responsable du département de calculs informatiques de la NASA & sans Mary JACKSON première Afro-Américaine ingénieure en aéronautique, aucun homme n’aurait fait de grand pas pour l’humanité !
- de faits historiques dont les raconteurs atteints de mémoire sélective se transforment parfois en conteurs, réarrangeant certains faits au gré des besoins de l’époque, choisissant leurs héros, oubliant leurs héroïnes et modifiant le cours des événements. Il est important de signaler que c’est Rosalind Franklin qui a découvert la structure hélicoïdale de l’ADN au début des années 1950 mais que ce sont ses 3 collègues masculins qui reçurent le prix Nobel de médecine pour sa découverte en 1962 ou que des femmes comme Margaret Bulkley — plus connue sous le nom de Dr James Barry — sont devenues des chirurgiennes militaires brillantes au service de leur patrie à l’époque où la médecine, l’université et l’armée leur étaient interdites !
- de théories anthropologiques, psychologiques orientées par le conditionnement individuel et les propres contrariétés de celleux qui les émettent, imposant alors des normes, des hiérarchies, des divisions et répartition de rôles. Personnellement, je ne peux m’empêcher de remettre en question la théorie de Freud sur mon manque de pénis.
- de cultures ayant fait disparaître la diversité des sociétés pour s’imposer comme l’unique modèle viable, usant de la force, de la domination, anéantissant la richesse des modèles pour répondre à un besoin réconfortant de binarité : le bien & le mal. Aussi des sociétés matrilinéaires ont été détruites, nous faisons aujourd’hui croire que l’homme a toujours été le chef (de famille, de tribu, de village, de l’église, de l’entreprise, de tout…).
- de pouvoirs politiques qui ont leur propre intérêt dans la scénarisation de la vie de la cité, qui choisissent pour nous, nos libertés afin qu’elles s’arrêtent là où la leur commence alors que la leur semble parfois sans limite.
- de mythes, de croyances antiques, ayant enfanté de constructions sociales si profondément ancrées qu’on les partage comme des savoirs, des connaissances.
Pourtant cette transmission est erronée puisque l’invisibilisation des femmes dans ces histoires participe à nous faire croire que les hommes sont supérieurs, c’est leur absence qui légitime les inégalités dans la division sexuelle des rôles. Cette hiérarchie faussement naturelle, habilement construite et contée depuis des siècles, conditionne les relations entre hommes et femmes. - des colporteurs, crieurs de rue, devenus journaux, médias, internet, relayant l’information, prescrivant les points dignes d’intérêt, rapportant la réalité telle qu’iels la perçoivent. Mais il est important de préciser que l’information qui nous parvient dépend du·e la messager·e qui la dévoile.
- des romancier·ere·s, des poète·sse·s, des auteur·rice·s, des artistes, des illustrateur·rice·s, des dessinateur·rice·s, des sculpteur·rice·s, des danseur·se·s, des compositeur·rice·s, des musicien·ne·s, des chanteur·se·s, des chorégraphes, des cinéastes, des acteur·rice·s, des réalisateur·rice·s, JUGÉ·E·S DIGNES (ET PAR QUI ?) d’accéder à l’apprentissage, aux moyens matériels, aux espaces de création & de représentation et au temps nécessaires pour nous transmettre leur vision personnelle du monde. Comme Jackson Pollock, qui s’est hypocritement réapproprié l’invention du dripping — de Janet Sobel — qu’il avait alors découvert en 44 chez Peggy Guggenheim, pour bâtir sa renommée à lui…ou autre exemple, l’oubli total d’Alice GUY, qui n’est rien moins que la 1ere femme réalisatrice et productrice de l’Histoire, directrice générale des productions Gaumont au 19e.
C’est donc à cause d’un refrain idiot que les femmes attendent de correspondre à 100% au profil décrit par une offre d’emploi pour postuler là où les hommes correspondant au profil décrit à 60% se disent qu’ils sont super motivés et qu’ils apprendront par la pratique ;
C’est à cause d’une rengaine débile que les femmes ne sont que 25% à affirmer qu’elles ne changeront pas de poste sans augmentation de salaire quand leurs homologues masculins sont 71% à le refuser tout simplement. Pire, parmi les talents du panel de l’étude Avizio souhaitant faire un gap salarial, les hommes demandent en moyenne 20% d’augmentation de salaire, quand les femmes ne demandent que 5%….